Elle pose la statue de Saint-Joseph solidement sur un piquet en face du champ à dérocher. Le Grand Miracle se produit. Six petits miracles ramassent des roches qu'ils mettent dans une brouette et le plus fort va jeter les roches. Bientôt, une petite montagne pousse. Le voisin laboure alors que nous, notre travail, c'est les roches. Puis ça 'rush' parce qu'il faut étendre du fumier, arroser, labourer et finalement semer. Saint-Joseph, du haut de son piquet nous regarde, c'est là son miracle. Puis nous semons maïs, pomme de terre, fèves vertes, petits pois. Ce n'est pas seulement que quelques graines que nous plantons, ce sont des rangs et des rangs de maïs, pomme de terre et petites fèves. Pour la cannerie de Saint-Hyacinthe, pomme de terre, faut en récolter au moins 50 poches pour l'hiver. Mettre le maïs en canne, en grains s'il vous plaît, ma mère adore ça.
Donc ce sont les semailles. Il reste encore beaucoup de roches, mais plus petites avec les années, et la tribu qui contribue, que cela ne tienne, nous allons faire avaler leurs paroles aux voisins. Ma mère, lorsqu'elle décide quelque chose, elle pourrait déminer un champ au Vietnam à elle seule, rien ne l'arrête, elle va jusqu'au bout de ses idées, et elle en a, ce n'est pas ce qui lui manque.
Ce travail est terminé, enfin. Je peux me reposer, mes frères aussi. Hélas! Ma mère nous avise que l'autre terrain côté sud du hangar qui est aussi grand sinon plus que celui du côté nord, va être labouré, puis que bien voilà, il faut le dérocher également. Je déteste la campagne, ce n'est pas tant la campagne que le travail physique que cela exige. Je déteste forcer. Je préfère être malade. Je ne comprends pas pourquoi faut-il travailler si fort pour avoir quelque chose. "On a rien pour rien mon p'tit garçon", me répète toujours ma mère, lorsque je chiale. Parce que je chiale, récrimine, crie à l'injustice, je veux faire valoir mes droits.
Que je tempeste n'y change rien, il faut enlever la roche, la maudite roche. Le soleil plombe. Heureusement, je ne peux supporter le soleil, je faiblis très vite, je me déshydrate rapidement. J'en enlève moins longtemps que les autres. La veille c'est Saint-Joseph qui change de piquet, il a une mission que ma mère lui a donné. Bah oui! De la pluie tout simplement. Le pire dans tout cela, c'est qu'il lui obéit aux doigt et à l'oeil. Je crois que ça fait deux semaines qu'il fait beau. Le soir que les semailles côté nord sont complétés, ça parle au diable, Saint-Joseph qui fait tomber une bonne pluie. Une bénédiction pour ma mère. D'ailleurs avec elle, tout est béni. La grêle du mois de mai, celle de juin, une pluie, le soleil, elle a un Saint ou une Sainte pour chaque élément de la nature. Je vis avec des Saints et Saintes constamment. Je baigne dans l'eau bénite. Ça j'aime ça, ce n'est pas forçant pour moi. J'y crois. Ça marche, et très bien en plus, les preuves sont quasi quotidiennes. Les roches, y a t-il un Saint pour faire disparaître les roches. Une autre petite montagne de pierres, grosses, moyennes, petites. Plus le voisin laboure plus les roches sortent de terre. Ma mère, devant la tâche décourageante, met à profit son immense talent artistique. Elle entreprend donc de faire des rocailles. Évidemment, ça prend des roches et pas n'importe laquelle. Elle inspecte chaque roche. Elle les veut les plus rondes possibles, environ la grosseur d'une pomme de terre. La 'Carrière' est en fonction. Nous voulons lui apporter les roches les plus parfaites. Les rocailles prennent formes. Des fleurs allant des minuscules Saint-Joseph, les Coeurs Saignants, Rosiers Sauvages, Pensées, Dalia, Lys, Tulippes, Géraniums, un arc-en-ciel de couleurs explosent dans toute sa beauté. Elle sait tourner le négatif en positif, le laid en beau, le travail ardu en amusements. Il y a des fleurs tout le tour de la maison. Elle plante des Lilas, des Rosiers Grimpants, un paradis pour abeilles et bourdons.
Surprise! Le terrain est prêt à temps pour accueillir un début de 250 plants de tomates, des rangs de concombres, échalotes, salades, radis, piments, elle adore ça. Même Saint-Joseph semble surpris. Moi, je déterre quelques graines. Je suis capricieux. Hourra! Ça germe, ça va pousser.
Mathieu Deux

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