10.01.2006

Terre fertile

L'école est terminée. J'ai redoublé ma première année. Je ne l'ai pas finie. Je n'apprends rien, sauf la religion. Le petit catéchisme. Dans cette matière, je suis le plus fort, pour le reste, nul. De toute façon, j'ai enfin une passion... Regarder pousser ce qu'on a semé. Au bout de quelques jours, des rangées et des rangées de petites pousses verts tendres font leur apparition. Miracle. Je coure en hurlant d'exaltation. Ma mère sort de la maison en état de panique. Elle veut savoir ce qui me met dans un état semblable. Elle crie le nom de mes frères, ils s'agglutinent autour d'elle. Elle les comptes. C'est une habitude chez elle de nous compter. Elle veut se rassurer qu'il n'en manque pas un. Rassurée, elle me suit. Nous y voilà. Le vaste champs offre sa tendre verdure aux yeux de ma mère qui éclate en sanglots, c'est trop beau, mes frères nous y rejoints. Elle nous serre contre elle. Elle a vaincu l'adversité. Y a encore beaucoup de roches, mais ça pousse drôlement bien. Faut dire qu'avec le fumier que le voisin a répandus très généreusement avec son tombereau, y a de la vitamine dans cette terre. En autant que les roches ne grossissent pas. Comme c'est beau la nature.
C'est parce que pour que les petites pousses soient solides et en santé, il faut piocher et enlever l'herbe que la pluie de Saint-Joseph a fait pousser en même temps que les petites pousses. Piocher puis renchausser ces précieux petits plants. Il faut les dorloter, en prendre soin comme la prunelle de nos yeux. Les rangs sont longs, le champ est vaste. La semaine suivante nous empruntons deux pioches chez le voisin.
C'est parti. Là, il faut se concentrer, on a jamais pioché, sauf moi lorsque je faisais une crise d'insatisfaction. C'est toute une technique, que dis-je, un art. Il faut faire très attention pour ne pas piocher trop près des plants pour ne pas les couper. Enlever délicatement l'herbe alentour du plant, le renchausser tout aussi délicatement en tenant la fragile tête entre ses doigts, et surtout, surtout ne pas le serrer, et ne pas tirer sinon, c'est le déracinement de la tige. Ce sont des légumes en moins, et chaque légume est important. Allez donc, on pioche, on renchausse chacun son bout de rang. Il n'y a que deux pioches, nous sommes six garçons. C'est la distribution de la corvée. Elle mixte les plus vieux avec les plus jeunes. Chaque membre d'une équipe se relaient. Une équipe part au début du rang et l'autre à la fin, pour finalement se rejoindre au centre. Un rang de terminé. Ma mère fonctionne comme ça, elle nous implique.
Lorsque ce champ va être propre, il y a l'autre à faire. C'est comme cela tout l'été. C'est la navette entre les deux champs. C'est la guerre du nord et du sud. Nous sommes les petits soldats. Nous allons gagner la guerre. Les pioches frappent les roches, des étincelles jaillissent, je grinche des dents. Ça pousse! Les roches aussi. Nous continuons des enlever. Il fait chaud, beau, trop beau, faudrait qu'il pleuve. Partout c'est presque la sécheresse, les champs des alentours jaunissent, sauf nos deux champs qui demeurent dans les circonstances, verdoyants. La cause! Les roches, ces maudites roches que je déteste tant, sont une source d'humidité. Vive Saint-Joseph, vive les roches, vive la vie. Faut piocher le champ de tomates, les renchausser, mettre des tuteurs puis les attacher soigneusement. Bientôt, ça va être la polénisation des espèces. Surtout plants de tomates, de concombres, ou melon, il y a des fleurs mâles, et les femelles. On reconnaît les femelles à leur minuscules fruits. Donc, pour que les légumes soient plus gros, plus abondants, on doit prendre la fleur mâle et l'accoupler avec la fleur femelles, et le tour est joué. Donc, nous polénisons tous mes frères et moi, et polénisons tout.
Mathieu Deux

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